Monsieur le Président de la
République
Membres illustres du Gouvernement
et du Corps diplomatique, Autorités distinguées, religieuses et civiles,
Éminents Représentants de la
société civile et du monde de la culture, Mesdames et Messieurs !
Je vous salue cordialement et je
remercie Monsieur le Président pour les paroles qu’il m’a adressées. Je suis
heureux d’être ici, sur cette terre si belle, si vaste et si luxuriante, qui
embrasse, au nord, la forêt équatoriale ; au centre et vers le sud, les hauts
plateaux et les savanes
arborées ; à l’est,
les collines, les montagnes, les
volcans et les
lacs ; à l’ouest d’autres
grandes étendues d’eaux, avec
le fleuve Congo
qui rejoint l’océan.
Dans votre pays,
qui est comme un continent dans le grand
continent africain, on a l’impression que la terre
entière respire. Mais, si la géographie de ce poumon vert est riche et
variée, l’histoire n’a pas été aussi
généreuse. Tourmentée par la guerre, la
République Démocratique du Congo
continue de subir à l’intérieur de ses frontières des conflits et des
migrations forcées, et à souffrir de terribles formes d’exploitation, indignes
de l’homme et de la création. Ce pays immense et plein de vie, ce diaphragme de
l’Afrique, frappé par la violence comme par
un coup de
poing dans l’estomac semble
depuis longtemps avoir perdu son
souffle. Et tandis que vous, Congolais,
vous luttez pour sauvegarder votre dignité
et votre intégrité territoriale
contre les méprisables tentatives
de fragmentation du pays, je viens à vous, au nom de Jésus, comme un pèlerin de réconciliation et de paix. J’ai
beaucoup désiré me
trouver ici et
je viens enfin
vous apporter la proximité, l’affection et la consolation
de toute l’Église catholique. Je voudrais
vous parler à travers une image
qui symbolise bien la beauté lumineuse de
cette terre : celle du
diamant. Chères femmes et chers hommes Congolais, votre
pays est vraiment un diamant
de la création ; mais
vous, vous tous, êtes infiniment plus précieux que toutes les choses bonnes
qui sortent de ce sol fertile ! Je
suis ici pour vous étreindre et
vous rappeler que vous avez
une valeur inestimable, que
l’Église et le Pape ont confiance en vous, qu’ils croient en votre avenir,
un avenir qui soit entre
vos mains et dans lequel
vous méritiez de déverser vos
dons d’intelligence, de sagacité et d’assiduité. Courage, frère et sœur
congolais ! Relève-toi, reprends dans tes mains, comme un diamant très pur, ce
que tu es, ta dignité, ta vocation à garder en harmonie et en paix la maison
que tu habites. Revis l’esprit de ton hymne
national, en rêvant et en mettant
en pratique ses paroles : « Par le dur labeur, nous bâtirons un pays plus
beau qu’avant, dans la paix ». Chers
amis, les diamants,
généralement rares, abondent ici. Si cela vaut pour les richesses matérielles cachées
sous la terre, cela vaut à plus
forte raison pour les richesses
spirituelles enfermées dans vos cœurs. Et c’est précisément à partir des cœurs
que la paix et le développement sont possibles car, avec l’aide de Dieu, les
êtres humains sont capables de justice et de pardon, de concorde et de
réconciliation, d’engagement et de
persévérance pour mettre à
profit les talents reçus. Dès le début de mon voyage, je
souhaite donc lancer un appel
: que chaque Congolais se sente appelé à jouer son rôle ! Que la
violence et la haine n’aient plus de place dans le cœur et sur les lèvres de quiconque,
car ce sont des sentiments inhumains et anti-chrétiens qui
paralysent le développement
et ramènent en arrière, vers un sombre passé. En parlant
de frein au développement et de retour
au passé, il est tragique que ces
lieux, et plus
généralement le continent
africain, souffrent encore de
diverses formes d’exploitation. Après le colonialisme politique,
un “colonialisme
économique” tout aussi asservissant s’est déchainé. Ce pays,
largement pillé, ne parvient donc pas à profiter suffisamment de ses immenses ressources : on en est
arrivé au paradoxe que
les fruits de sa
terre le
rendent “étranger” à ses habitants. Le poison de la cupidité a ensanglanté ses diamants. C’est
un drame devant lequel le monde économiquement plus avancé ferme souvent les yeux, les oreilles et la
bouche. Mais ce pays
et ce continent
méritent d’être respectés et
écoutés, ils méritent espace et
attention : Retirez vos mains de la République Démocratique du
Congo, retirez vos
mains de l'Afrique
! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une
mine à exploiter ni une terre à dévaliser. Que l’Afrique soit protagoniste
de son destin !
Que le monde se souvienne des désastres commis au cours des siècles au
détriment des populations locales et qu’il n’oublie pas ce pays ni ce
continent. Que l’Afrique, sourire et espérance du monde, compte davantage : qu’on
en parle davantage,
qu’elle ait plus
de poids et
de représentation parmi les nations ! Une diplomatie de
l’homme pour l’homme,
des peuples pour les
peuples, doit se déployer, selon
laquelle les opportunités
de croissance des personnes soient au centre, et non le
contrôle des zones et des ressources, les visées d’expansion et l’augmentation
des profits. En regardant ce peuple, on a l’impression que la Communauté
internationale s’est presque
résignée à la violence
qui le dévore. Nous ne
pouvons pas nous habituer au sang qui coule dans ce pays, depuis des décennies désormais,
faisant des millions de morts à l’insu de beaucoup. Il faut que l’on sache ce qui se passe ici, que les processus de paix en cours, - que j’encourage de toutes mes forces - soient
soutenus dans les faits et que les engagements soient tenus. Grâce à Dieu, il y
en a qui contribuent au bien de la population locale et à un réel développement à travers des projets efficaces:
non pas des interventions de
pure assistance, mais des plans
visant à une croissance
intégrale. J’exprime toute ma
gratitude aux pays et aux organisations qui fournissent des aides
substantielles en ce sens, en
contribuant à la lutte
contre la pauvreté et les maladies,
soutenant l’État de droit et
promouvant le respect des
droits humains. Je forme
le vœu qu’ils puissent continuer à jouer pleinement
et courageusement ce noble rôle. Revenons
à l’image du
diamant. Une fois
travaillé, sa beauté provient également de
sa forme, de
ses nombreuses facettes
harmonieusement disposées. Ce pays, riche de son pluralisme typique, a
lui aussi un caractère polyédrique. C’est une richesse qui doit être conservée, en évitant de glisser dans le tribalisme et la
confrontation. Prendre obstinément parti pour
sa propre ethnie ou pour des intérêts particuliers, alimentant des
spirales de haine et de violence, tourne
au détriment de tous en bloquant la nécessaire “chimie de l’ensemble”. À propos
de chimie, il est intéressant de noter
que les diamants sont constitués des seuls atomes de carbone, lesquels, s’ils étaient reliés
différemment, formeraient du
graphite. La différence
entre la luminosité
d’un diamant et l’obscurité du graphite provient de la manière dont les atomes individuels sont disposés dans le
réseau cristallin. Cette métaphore exprime le fait
que le problème n’est
pas la nature des hommes ou des groupes ethniques et sociaux, mais la
manière dont on décide d’être ensemble. La volonté ou non de se rencontrer, de se réconcilier et
de recommencer fait
la différence entre
l’obscurité du conflit
et un avenir lumineux de paix et de prospérité. Chers amis, le
Père céleste veut que
nous sachions nous accueillir
comme les frères et sœurs d’une même famille, et travailler à un avenir
qui soit avec les autres et
non contre les
autres. “Bintu bantu”
: c’est ainsi
que l’un de vos
proverbes rappelle très bien que,
la vraie richesse, ce
sont les personnes et les bonnes relations entre elles. En particulier, les religions,
avec leur patrimoine de sagesse, sont
appelées à y contribuer, par un
effort quotidien de renoncement à toute
agressivité, prosélytisme et contrainte, qui sont des moyens indignes de la
liberté humaine. Quand on en vient à imposer, en allant à la chasse aux fidèles, de manière aveugle
par la ruse ou par la force, on ravage la conscience d’autrui et on tourne
le dos au vrai
Dieu, parce que -
ne l’oublions pas – « là
où l’Esprit du Seigneur
est présent, là est la liberté »
(2 Co 3, 17). Les
membres de la société civile,
dont certains sont ici présents, jouent également un rôle essentiel dans la
construction d’un avenir de paix et
de fraternité. Ils ont
souvent démontré qu’ils savaient
s’opposer à l’injustice
et au délabrement,
au prix de grands sacrifices, pour défendre les droits
humains, la nécessité d’une éducation solide pour tous et une vie
plus digne pour
chacun. Je remercie
sincèrement les femmes et
les hommes, en particulier les jeunes de ce pays, qui ont souffert à
divers degrés pour cela, et je leur rends hommage. Le diamant, dans sa transparence, réfracte admirablement la lumière
qu’il reçoit. Beaucoup d’entre
vous brillent par le rôle qu’ils jouent.
Celui qui détient des responsabilités civiles et gouvernementales est
appelé à agir avec une clarté
cristalline, en vivant
la fonction reçue comme un
moyen de
servir la société. Le pouvoir
n’a de sens en
effet que s’il
devient service. Combien
il est important d’agir dans cet
esprit, en fuyant
l’autoritarisme, la recherche de gains faciles et la soif d’argent
que l’apôtre Paul
désigne comme « la racine
de tous les maux » (1 Tm 6, 10). Et en même temps,
favoriser des élections libres, transparentes et crédibles ;
étendre davantage aux
femmes, aux jeunes
et aux groupes marginalisés, la participation aux
processus de paix; rechercher le bien
commun et la sécurité des personnes plutôt que
les intérêts personnels
ou de groupes ; renforcer la présence de l’État partout sur le territoire. Que l’on ne se laisse pas manipuler, et moins
encore acheter, par ceux qui veulent
maintenir le pays dans la violence
afin de l’exploiter et de faire des affaires honteuses : cela n’apporte que discrédit et
honte, avec la
mort et la
misère. Au contraire,
il est bon de se rapprocher des personnes pour se rendre
compte de la manière dont
ils vivent. Elles font confiance lorsqu’elles sentent que les gouvernants sont réellement proches, non
pas par calcul ou par exhibition, mais par service. Dans la
société, ce sont
souvent les ténèbres
de l’injustice et
de la corruption qui
obscurcissent la lumière du bien. Il y a
des siècles, saint Augustin, né sur
ce continent, se demandait
déjà : « Si la justice n’est
pas respectée, que sont les
États, sinon des bandes de voleurs ? » (De civ. Dei, IV, 4). Dieu est du côté
de ceux
qui ont faim et
soif de justice
(cf. Mt 5, 6). Il ne faut
pas se lasser de promouvoir dans
tous les domaines le droit et l’équité, en luttant contre l’impunité et la
manipulation des lois et de l’information. Un diamant sort de la terre authentique mais brut, nécessitant un
travail. De même, les diamants les plus précieux de la terre congolaise que sont les enfants de cette nation
doivent pouvoir bénéficier
de véritables opportunités
éducatives qui leur permettent
de mettre pleinement
à profit leurs
brillants talents.
L’éducation est fondamentale : elle
est la voie de l’avenir,
la route à emprunter pour atteindre
la pleine liberté
de ce pays
comme du continent africain.
Il est urgent d’y investir afin de préparer des sociétés
qui seront fortes si elles sont bien instruites, autonomes si elles sont
pleinement conscientes de leurs potentialités et capables
de les développer
avec responsabilité et
persévérance. Mais beaucoup
d’enfants ne vont
pas à l’école : combien,
au lieu de
recevoir une éducation
digne de ce nom, sont exploités ! Trop d’entre eux
meurent, soumis à des travaux
asservissants dans les mines. Aucun effort ne doit être
ménagé pour dénoncer le fléau du travail
des enfants et y mettre fin.
Combien de filles
sont marginalisées et violées
dans leur dignité !
Les enfants, les
jeunes filles, les jeunes sont l’espérance : ne permettons
pas que celle-ci soit effacée,
cultivons-la avec passion !Le diamant,
don de la
terre, appelle à
la sauvegarde de la
création, à la protection de l’environnement. Située au cœur de l’Afrique, la République
Démocratique du Congo abrite l’un des plus grands poumons verts du monde,
qui doit être préservé.
Comme pour la paix
et pour le
développement, dans ce domaine
également une collaboration large et
fructueuse est importante, permettant d’intervenir efficacement,
sans imposer des modèles extérieurs
plus utiles à ceux
qui aident qu’à ceux
qui sont aidés. Nombreux sont
ceux qui ont demandé à l’Afrique de
s’engager et qui ont offert des aides afin de lutter contre le changement climatique
et le coronavirus. Ce sont certainement des opportunités à saisir,
mais il y a
surtout besoin de modèles
sanitaires et sociaux
qui ne répondent pas seulement
aux urgences du moment mais contribuent à une croissance sociale
effective : des structures solides
et du personnel
honnête et compétent pour surmonter les graves problèmes comme la faim
et la malaria qui entravent le développement à sa naissance. Enfin, le
diamant est le minéral
d’origine naturelle qui
présente la plus grande dureté.
Sa résistance aux produits chimiques est très grande. La répétition
continuelle des attaques
violentes ainsi que
les nombreuses situations
de détresse pourraient affaiblir
la résistance des Congolais, miner
leur force d’âme, les conduire à
se décourager et à s’enfermer dans la résignation. Mais, au nom du Christ qui
est le Dieu de
l’espérance, le Dieu
de toute possibilité qui
donne toujours la force
de recommencer, au nom de
la dignité et de la
valeur des diamants les
plus précieux de
cette terre splendide que
sont ses habitants, je voudrais
inviter chacun à un nouveau départ social courageux et inclusif. L’histoire
lumineuse mais blessée
du pays l’exige,
les jeunes et les enfants en
particulier l’implorent. Je
suis avec vous et
j’accompagne par la prière
et la proximité tout effort
pour un avenir
pacifique, harmonieux et
prospère de ce grand
pays. Que Dieu bénisse la nation
congolaise tout entière !